Tends-lui l'autre / Mt 5 38-48 / une homélie

Qui sont mes ennemis ?
Puisqu’il faut les aimer, qui sont-ils ?
Il y a bien des gens que je n’aime pas… est-ce que ce sont eux mes ennemis ? Non, ça ce sont les ennemis que je m’invente, que je me construis. Est-ce que j’ai des ennemis ? … j’ai beau chercher, je n’en vois pas. Des gens qui me voudraient du mal, des gens qui me feraient la guerre….

Mais un ennemi, ce n’est pas ça, l’ennemi, c’est simplement le contraire de l’ami, c’est simplement celui qui ne m’aime pas.
Alors oui il y a des gens qui ne m’aiment pas. Aimer ses ennemis, c’est aimer les gens qui ne nous aiment pas. C’est donc sortir de la logique du miroir, du donnant-donnant : tu m’aimes/je t’aime. Tu me donnes/je te donne. Tu me fais du mal/je te fais du mal. Œil pour œil/dent pour dent.

La logique du donnant-donnant, c’était ce que nous avions appris. C’était la leçon bienvenue de la loi qui mettait fin à l’escalade de la vengeance.
Mais c’était la loi inaccomplie, la loi sans la voix, sans celui qui vient et qui ouvre la bouche pour transformer l’Ecriture en Parole, pour faire basculer le monde de la Lettre à la présence d’un Corps.
Œil pour œil dent pour dent, au fond, il se pourrait que ça reste notre idéal de justice, que notre monde continue de tourner sur cette logique, sans se l’avouer bien sûr, en arrondissant un peu les angles, mais de la cour d’école à la cour d’assise, nous n’en sortons pas tout à fait.

Alors quand non seulement on ne rend pas la première gifle reçue, mais qu’on semble se rendre disponible pour une deuxième, c’est l’irruption du plus grand désordre. C’est même scandaleux.
Cette parole de Jésus est probablement celle qui aura fait le plus ricaner le monde au sujet des chrétiens. Faut-il être stupide pour non seulement ne pas se défendre, mais en redemander ? Celui qui ferait cela serait au mieux un gros naïf, au pire, quelqu’un qui aimerait souffrir, une sorte de sado-maso catho.
Jésus nous demanderait de provoquer la violence contre nous-même pour faire de nous une victime héroïque, tout en encourageant l’autre dans sa violence, et en l’enfermant dans son rôle de bourreau ? Si c’était ça, ce serait une perversion.

Avez-vous remarqué que le texte ne dit pas « tends-lui la joue gauche », ni même « tends-lui l’autre joue » ? Non le texte dit « tends-lui l’autre »... L’autre on ne sait pas quoi.
A celui qui te frappe sur la joue droite, propose-lui de l’autre.
A celui qui s’attend à recevoir du même, propose de l’autre.
De l’autre pour un œil, de l’autre pour une dent. Partout où il y a du même, partout où règne le miroir, suscite de l’autre, du différent, de l’inattendu, de l’inouï.
A celui qui en veut à ta tunique, donne aussi le manteau qu’il ne te demande pas. A celui qui comptait se débarrasser de toi au bout d’un kilomètre, reste encore un kilomètre de plus avec lui.
Aime celui qui ne t’aime pas.

Il ne s’agit donc pas ici de devenir « gentils », ni de devenir des héros doloristes, ni d’être des imbéciles heureux obéissants à une loi absurde. Il ne s’agit surtout pas de « faire semblant », dispenser un amour de façade, mettre les formes, sourire sur commande.
Il s’agit d’entrer dans une logique qui n’est pas celle du monde, mais celle du Père. (...)

Amen
Sylvain, diacre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire