Dimanche 8 mai 2016 / Une homélie de JP Duplantier

 Dans toutes les religions du monde, il y a un virus. Celui de penser et d’agir comme si la puissance de notre Dieu était un acquis. Un acquis à protéger, à défendre. Comme si notre seule responsabilité était de ne rien changer dans nos convictions, nos certitudes ou simplement nos habitudes. Or ce que nous venons d’entendre, dans le récit de la mort d’Etienne, dans les derniers mots du livre de l’apocalypse de Jean, et dans ceux de Jésus lui-même, c’est un cri, une prière, un désir : « viens Seigneur Jésus ! », et sur les lèvres de Jésus : « qu’ils soient un, comme Toi, Père, tu es en moi et moi en toi. » 
 
Les apôtres, et depuis eux, tous les disciples du Christ, n’en finissent pas de passer des seuils, de franchir des barrières, dans leur relation avec Dieu. Chacun d’eux a connu la surprise de la première rencontre avec Jésus, de la force qui venait de lui, de ses paroles de feu et de la lumière qu’il réveillait chez les gens. Chacun d’eux ont ensuite expérimenté les forces hostiles à ce qu’il faisait et disait. Chacun d’eux ont très mal vécu sa mort. Puis leur est venu l’étrange présence du ressuscité et la trouée qu’il faisait dans l’avenir du monde, et, quelques jours après, son ascension, comme nous disons. Jésus a beau nous avoir dit qu’il ne nous laisserait pas orphelins, ce n’est pas toujours facile de le vivre. Enfin il y eut l’irruption de l’Esprit, celui qui plane sur les eaux depuis le commencement, comme un aigle qui protège sa couvée.
 
Chaque année, tous les chrétiens passent et repassent par les hauts et les bas, les tours et les détours de cette aventure à sa suite, sur son chemin : la joie de sa naissance à Noël, sa façon de soigner, de guérir, de pardonner, sur les chemins de Palestine, puis le carême et la semaine sainte, et dans une semaine, la fête de la Pentecôte. Qu’est-ce qui nous fait tenir ? Qu’est-ce qui nourrit notre foi en Lui ? Qu’est-ce qui nous aide à continuer de nous aimer les uns les autres, comme il nous a aimés ? Quoiqu’il arrive…
 
On nous a enseigné, de génération en génération, que notre force, c’est l’Esprit saint. Pas ma force, mais sa force à Lui, en moi. Qu’elle parle maintenant, en moi, en vous.
Cette force c’est quand une parole, un regard, un geste vient se substituer à mes sentiments, mes projets, mes peurs, mes souffrances et installe dans mon corps de la lumière, de la paix ; une sorte de réconfort qui prend sa place chez moi, sans que j’ai été le chercher, comme une surprise heureuse. Cette force vient de l’extérieur ; elle vient de n’importe qui. Dans la Bible, comme dans la vie, ce sont des détails, qui tissent des fils inattendus, dans la trame de notre journée ; des fils d’argent ou d’or qui tirent de l’oubli des liens immémoriaux enfouis dans notre chair vive. Comme un discret souffle de vie qui réenchante ce quotidien que nous croyions déjà écrit, ordonné, programmé, inéluctable. Comme le retour d’une danse enfantine où un visage, un regard, une odeur émerveille notre âme jusqu’au bord de nos lèvres et de nos yeux. Elle vient d’un proche ou d’un étranger. Elle vient d’en-haut. Chacun de nous est équipé depuis toujours pour lui accorder l’hospitalité. Pour que nous reconnaissions qu’elle nous est envoyée, comme dit Jésus ; que nous sommes bâtis pour ce genre de visite. 
 
Nous chantons parfois ici un refrain qui en parle très bien : « L’amour jamais ne passera, l’amour demeurera. L’amour, l’amour seul, la charité jamais ne passera. Car Dieu est amour ». Cet amour-là n’est pas une conviction, un effort pour l’entretenir ; il est une expérience ; trop rare peut-être ; trop passagère le plus souvent ; mais personne ne peut dire qu’il ne l’a jamais senti passer, même si depuis trop de choses l’ont enfoui. Car cet amour-là n’habite pas seulement les églises. Il suffit, à l’hôpital, d’une visite pour que la douleur cesse d’être un diable qui dévore ce qui vous reste de force. Il suffit d’un moment d’attention pour un jeune devenu trop solitaire, pour que se réveille en lui le gout de vivre en plein vent que Dieu a semé en lui. Il suffit d’un sourire qui désobéit à la grisaille du temps, pour que revienne sur un visage sa lumière intérieure.
 
Nous nous souvenons aujourd’hui du 8 mai 1945. Le retour de ceux qui revenaient de la guerre ou des camps. La joie et l’incertitude de ceux qui étaient restés. En quatre années, nous changeons les uns et les autres. Mon père et ma mère s’aimaient encore, mais sans savoir c que l’autre avait vécu et ce qu’ils étaient devenus. C’est auprès d’eux que j’ai appris ce que la part d’amour qui leur venait de Dieu et de leur foi était capable de reconstruire. C’est tellement difficile et hasardeux de s’aimer à nouveau après une si longue absence. C’est fou et tellement heureux, lorsque les réalités d’en-haut se substituent aux réalités d’en-bas, celles de l’amour d’avant qui n’étaient plus comme avant. Je n’ai rien compris à cette époque. Mais c’est auprès d’eux que j’ai fait connaissance avec la force d’en-haut, celle qui réanime les liens qui avaient été malmenés. J’ai appris par la suite à quel point cette force était capable de restaurer des relations enfuies. Et ce n’était pas seulement dans les familles, mais en ville aussi et au travail. Et ce n’est pas seulement une histoire du passé. Elle a gardé toute sa force aujourd’hui, pour ceux qui s’y risquent.
 
Ceci est la technologie de l’Esprit saint. Elle passe de lui à nous, par nous, entre nous. Elle est entièrement disponible. Et l’énergie qu’elle dispense est la puissance même de la tendresse de Dieu pour nous. A nous de participer à son travail d’enfantement. 
 
Voilà ce que je lis dans la prière de Jésus : « Qu’ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en Toi. Pour que le monde croie que tu m’as envoyé, et que tu les as aimé comme tu m’as aimé. Je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi. »
Jean-Pierre Duplantier