Conférence du Père Didier Monget - Vendredi 4 mars 2022
LE PÉCHÉ
Introduction: PÉCHÉ, FAUTE,
CULPABILITÉ
« Les expériences et les notions ayant trait à
l’ordre du mal sont très diverses : depuis les sentiments plus ou moins
conscients de honte, d’impureté ou de culpabilité,
jusqu’au jugement moral le plus élaboré de la conscience, en passant par
la transgression d’une loi (loi d’un groupe social, loi de la raison ou
de la nature) ou par la conviction qu’un acte entraîne quelque désordre
ou cause un tort à une personne, à un groupe, ou même à l’ordre des choses ou
du monde. L’expérience du péché aussi bien que la notion de péché sont
spécifiquement religieuses; elles peuvent coïncider avec toutes ces autres
expériences ou notions, mais elles désignent alors leur référence à un principe
divin ou à un dieu et font passer au premier plan la signification que revêtent
ces actes, dès lors que cette référence devient la plus importante de toutes
celles pouvant servir à qualifier leur valeur morale.
On peut donc dire qu’il n’y a pas de place pour
l’expérience ni pour la notion de péché là où il n’y a pas référence à un
principe divin (...) ».
Tout en étant
conscients de l’extrême complexité de la question de la faute, du caractère
arbitraire de tout choix d’un vocabulaire, et du chevauchement inévitable entre
les catégories que l’on aura distinguées, il sera important - et notamment au
plan pastoral - de distinguer entre :
A/ Le sentiment de culpabilité, qui se situe
au niveau psychologique. FREUD le considère comme « la perception qui,
dans le moi, correspond à la critique exercée par le sur-moi ». Il s’agit
ici d’instances constituantes du sujet humain.
Mais « ces
sentiments de culpabilité peuvent (...) s’organiser de telle sorte que le sujet
(...) élabore un univers fantasmatique lui permettant de déplacer, de
déformer ou de dénier tout ce qui concernerait sa culpabilité; ainsi l’on
aboutit souvent à un divorce presque radical entre le sentiment de culpabilité
et la réalité de la faute (...) ».
B/ La faute morale :
Dans une première
approche, on peut dire que le sentiment de culpabilité devient conscience d’une
faute morale quand intervient une juridiction extérieure.
La philosophie
contemporaine distingue ici morale et éthique :
- la morale a pour
perspective la tâche qui revient à la liberté du sujet pour qu’il atteigne
la vérité de son être : le bien sera l’action qui lui permet de se
conformer à la vérité de sa condition, et le mal l’action qui l’amène à vivre
en dehors de cette vérité ou contre elle.
- HEGEL met en
cause cette manière de penser; pour lui, « la tâche de la liberté est
moins d’assurer la conformité du sujet à une essence immuable et qui lui serait
en quelque sorte extérieure (...) que d’assurer dans la réalité objective du
monde l’effectuation de ce qu’il a à être et qu’il découvre en même temps qu’il
le réalise. Il s’agit moins d’exécuter un plan pré-établi (...) que de donner
corps aux virtualités de l’existence humaine qui se dévoilent dans l’agir
lui-même ». C’est cette perspective
que l’on préfère qualifier d’éthique.
C/ Le péché (cf ci-dessus et ci-dessous)
1/ LE VOCABULAIRE DU PÉCHÉ :
“Les termes par
lesquels l’AT désigne cette réalité que nous appelons ‘péché’ sont multiples et
empruntés d’ordinaire aux relations
humaines: manquement, iniquité, rébellion, injustices… Le judaïsme ajoutera
celui de dette”.
“Parmi la
constellation de termes désignant un manquement, une faute, la famille de mots
grecs de racine hamart- est la plus
fréquente (296 emplois). Hamartia a
aussi une portée plus vaste que adikia (iniquité) qui relève de la terminologie
juridique (22 fois) et que parabasis
(de parabaino: aller à côté, transgresser) qui se réfère à la transgression d’ordonnances divines (14 fois). A
la différence du monde grec où le verbe hamartanô
(manquer le but) n’implique pas malice, mais erreur ou influence du destin,
l’AT lie essentiellement le péché (hb. Héth,
‘awôn) à la relation de l’homme avec
Dieu : pécher, c’est être infidèle à l’Alliance; c’est trahir l’amour,
c’est se séparer de la communauté”.
2/ AMBIGUÏTÉS DE LA NOTION DE PÉCHÉ:
Dans la Bible, ce
terme peut recouvrir beaucoup de choses:
a)
il y a d’abord un glissement
très fréquent de la notion d’impureté à celle de péché. L’impureté désigne un état qui rend inapte au culte; cela peut désigner
des personnes, ou des objets dont le contact rend impur. Par exemple, sont impurs par nature: les cadavres, le sang humain, certains
animaux ou mets, les pays étrangers, leurs idoles…
Sont impurs par accident: les femmes qui ont leurs règles
ou qui viennent d’accoucher, les hommes après un écoulement séminal, les
lépreux, les prostituées, les vierges violées, les femmes répudiées…
Évangile selon St Matthieu, ch 9
09 Jésus partit de là et vit, en passant, un homme,
du nom de Matthieu, assis à son bureau de collecteur d’impôts. Il lui
dit : « Suis-moi. » L’homme se leva et le suivit.
10 Comme Jésus était à table à la maison, voici que
beaucoup de publicains (c’est-à-dire des collecteurs d’impôts) et beaucoup de
pécheurs vinrent prendre place avec lui et ses disciples.
11 Voyant cela, les pharisiens disaient à ses
disciples : « Pourquoi votre
maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? ».
Publicains et pécheurs : « Gens que leurs mœurs personnelles ou leur
profession malfamée rendaient ‘impurs’ et à ne pas fréquenter. Ils étaient particulièrement
suspects de ne pas observer les nombreuses lois concernant l’alimentation, d’où
les problèmes de commensalité ».
Il est remarquable que Jésus
appelle parmi les Douze un publicain, Matthieu.
b) Il peut y avoir des fautes
involontaires :
Ainsi de Uzza, qui veut retenir
l’arche de Dieu posée sur un chariot qui allait se renverser ; comme
l’arche est ‘sacrée’, aussi ‘redoutable’ que Dieu lui-même, le trois fois
saint, il est absolument interdit à quiconque de la toucher. « La colère de Dieu s’enflamma contre Uzza :
là, Dieu le frappa pour cette folie et il mourut, là, à côté de l’arche de
Dieu ».
c) La faute peut être
héréditaire, et c’est peu à peu qu’émerge la conscience d’une
responsabilité personnelle :
« Qu’avez-vous
à répéter ce proverbe au pays d’Israël : ‘Les pères ont mangé des raisins
verts, et les dents des fils en ont été agacées’ ? (…) Celui qui a péché,
c’est celui qui mourra ».
d) La confusion est continuelle
entre : mal physique, maladie psychologique, mal moral et péché :
01 En
passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance.02 Ses
disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? »03 Jésus répondit : « Ni lui, ni
ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se
manifestent en lui.
Voir aussi le démoniaque gérasénien
(Mc 5,1-20), le démoniaque épileptique (Mc 9,14-29).
e) On rencontre encore la notion
de faute collective, appelant un châtiment collectif :
07 [Souviens-toi, Seigneur, des fils du pays d'Édom,
+ et de ce jour à Jérusalem * où ils criaient : « Détruisez-la, détruisez-la de
fond en comble ! »08 O Babylone misérable,
+ heureux qui te revaudra les maux que tu nous valus ; *09 heureux qui saisira tes enfants, pour les
briser contre le roc !]
3/ THÉOLOGIE DU PÉCHÉ :
3.1. Le péché n’est pas premier ! Ce n’est pas l’objet
principal de la Révélation. Ce qui est premier, c’est le don de Dieu. Et l’on
va voir se constituer dans l’Écriture une sorte de séquence à quatre temps :
a/ Le Don
b/ Le commandement
(don et commandement constituent
l’Alliance)
c/ Le refus, la désobéissance, et le châtiment
d/ Le pardon
Nous trouvons cette séquence dans l’Alliance du Sinaï :
a/ Il y a d’abord
tout le récit de la libération de l’esclavage en Égypte (Ex 1-15,21), rappelé
dans la première des ‘paroles’ introduisant le ‘Décalogue’ :
« Je suis Yahvé, ton
Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude ».
b/ Vient alors le
commandement : les ‘dix paroles’.
à L’Alliance est alors conclue et célébrée.
c/ Lassé d’attendre Moïse, et de suivre un Dieu
invisible, le peuple demande à Aaron de lui faire ‘un dieu qui aille devant
nous’, un veau en or.
Péché qui entraîne un châtiment.
d/ A la prière de Moïse, Dieu pardonne et renouvelle
l’Alliance.
Mais cette séquence à quatre temps, nous la trouvons surtout dans le
grand récit fondateur de la Genèse, qui est placé à l’entrée de la Bible,
non pas comme un récit ‘historique’ au sens moderne du mot, bien sûr, mais
comme un récit ‘paradigmatique’ :
« Ce
texte condense, en un certain sens, ce qui est détaillé dans le reste de l’AT,
et qui est retenu comme référence normative par Jésus et par la tradition
paulinienne. Ce récit des origines doit être lu comme une ‘figure’ (typos), c'est-à-dire comme attestation
d’un événement de valeur symbolique, qui annonce, de manière prophétique le
sens de l’histoire jusqu’à son parfait accomplissement ».
a) le
Don : la Création, Gn 1-2
b) le
commandement : Gn 2 « 16 Le Seigneur Dieu donna à l’homme cet
ordre : « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du
jardin ;17 mais l’arbre de la
connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu
en mangeras, tu mourras. »
c) la désobéissance : Gn 3,1-13 et le
châtiment : Gn 3, 14-24
d) l’annonce d’un salut : s’adressant au serpent,
Dieu lui dit : « 15 Je mettrai une hostilité entre toi et
la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te meurtrira
la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon. ».
Même bannis du jardin d’Eden, l’homme et la femme sont
protégés par Dieu : au lieu des pagnes en feuilles de figuier qu’ils
s’étaient cousus - vêtement bien fragile –
Dieu leur confectionne des tuniques de peau-
beaucoup plus solides !
3.2. Au commencement :
(un commentaire du récit biblique du premier
péché)
A - Ne l’oublions jamais : avant le ch 3 de la Gn, il y a ... le ch 1 et le
ch 2 !
Ce qui est premier dans la Révélation, c’est la
bénédiction de Dieu sur tout le créé (‘Et Dieu vit que cela était bon...’;
‘Dieu les bénit et leur dit...’). Le monde est bon, l’homme est bon. Le mal
vient d’un libre péché de l’homme. Il est raconté comme un événement :
le mal a commencé, donc... il peut finir. Le mal n’appartient pas à la
nature, mais à l’histoire; il n’est pas constitutif du monde.
B- D’où vient le mal ?
- Pas de Dieu, qui ne crée que le bien.
- Vient-il alors de l’homme ?
- Pas vraiment, car l’homme consent à la
suggestion du serpent, qui est déjà-là.
- Qui est ce serpent ? Pourquoi est-il déjà-là ? Est-il
lui aussi une divinité (comme dans les mythologies antiques)?
- Non. Le serpent est une créature, « le plus rusé
de tous les animaux des champs que Dieu avait faits » (Gn 3,1).
- S’il n’est pas un dieu, alors il n’a pas le pouvoir de
manipuler l’homme à son gré ?
- Non; c’est pourquoi l’homme est responsable.
C/ Lecture de Gn 3
Le drame se
déroule en quatre tableaux :
1. la
tentation et le péché (3, 1-7)
2. la
comparution des coupables (3, 8-13)
3. la
sentence du Juge (3, 14-19)
4.
l’épilogue (3, 20-24).
C1- La nudité : 2,25; 3, 7. 10. 11
La nudité, assumée ‘sans honte’ au début (2,25), est
devenue sujet de gêne après la faute (3,7). Faut-il interpréter cela comme un
éveil du désir sexuel, qui serait alors relié au péché ?
- « Sans exclure toute idée de pudeur, les mots
nudité et honte expriment surtout dans la Bible la faiblesse, le manque de
protection, la défaite. (Avant la faute) l’homme et la femme s’acceptent tels
qu’ils sont sans abuser de leur mutuelle faiblesse ».
L’interprétation du premier péché comme une faute d’ordre
sexuel a existé; plusieurs éléments du récit iraient en ce sens : nudité et
pudeur, douleurs de la maternité, convoitise sexuelle, le serpent symbole
phallique... Ces éléments peuvent être reliés à des symboles de cultes
idolâtriques licencieux pratiqués en Canaan : la femme, l’arbre, le serpent...
Il est possible que le récit recèle une intention polémique contre ces cultes
païens, mais en vérité il ne nous donne aucun élément réel concernant une faute
sexuelle. Aucun acte peccamineux n’est décrit. C’est bien plutôt la démarche
intérieure de la faute qui est suggérée.
C2 - Le serpent
Dans l’ancien Orient, le serpent jouait un grand rôle
comme puissance de fertilité ou comme force politique.
« Le plus astucieux (arûm) des animaux » va
profiter de la faiblesse-nudité (arummim) de l’homme et de la femme. Il y a ici
jeu de mots en hébreu : astucieux s’oppose à nu-faible. Séduits par son astuce,
l’homme et la femme acquerront un savoir qui leur révèlera leur
nudité-faiblesse (3,7).
Puni par Dieu, le plus astucieux (arûm) des animaux en
devient le plus misérable (arûr) : il marchera sur son ventre et mangera de la
poussière ; son astuce se retourne contre lui.
C3 - La mort : 2,17; 3,3-4; 3,19
L’homme tiré du sol est soumis à la mort comme toute
créature terrestre (3,19). Il aurait pu y échapper par sa fidélité à la Parole
de Dieu (2,17).
Le serpent fait comme si Dieu avait dit que la mort
suivrait immédiatement la manducation du fruit (3,4) : il ment. Dieu avait
seulement donné un avertissement salutaire.
C4 - La connaissance du bien et du mal : 2,17; 3, 5. 22.
« Cette connaissance est un privilège que Dieu se
réserve et que l’homme usurpera par le péché. Ce n’est donc ni l’omniscience,
que l’homme déchu ne possède pas, ni le discernement moral qu’avait déjà
l’homme innocent et que Dieu ne peut pas refuser à sa créature raisonnable.
C’est la faculté de
décider soi-même ce qui est bien et ce qui est mal et d’agir en
conséquence; une revendication d’autonomie morale par laquelle l’homme renie
son état de créature. Le premier péché a été un attentat à la souveraineté de
Dieu, une faute d’orgueil. Cette révolte s’est exprimée concrètement par la
transgression d’un précepte posé par Dieu et représenté sous l’image du fruit
défendu ».
Après la faute, Dieu prive l’homme et la femme du jardin
qu’il leur avait préparé, mais il reconnaît le savoir qu’ils ont acquis (3,22).
C5 « Vous serez comme des dieux » (3,5)
En quoi consiste la faute des premiers humains ?
- Elle comporte deux dimensions:
a) Une dimension éthique : la transgression d’un précepte divin. Ce précepte,
c’est : « de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras
pas » (2,17). Mais nous venons de voir combien la connaissance dont il
s’agit dépasse le simple niveau du discernement moral : il s’agit de décider
par soi-même de ce qui est bien et de ce qui est mal. Cette revendication nous
ouvre à la deuxième dimension de la faute:
b) une dimension théologale. En affirmant : « vous
serez comme des dieux », le serpent dévoile son véritable dessein, comme
Satan plus tard le dévoilera devant Jésus, à la troisième tentation :
« Adore-moi comme un dieu » (Mt 4,9).
C’est la situation-même de l’homme devant Dieu qui est en
cause : devenir participant de la vie divine, c’est bien ce que Dieu nous
propose par le baptême et le don de l’Esprit. Mais il s’agit d’un don et
non d’une proie dont on pourrait se saisir.
Relisons Ph 2, 6-11 : c’est la même théologie, ici à
propos de la kénose du Xt.
« Lui, qui est de condition divine, n’a pas
considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu » (TOB)
Adam, c’est celui qui veut s’emparer de la condition
divine.
Jésus-Xt, c’est celui qui embrasse la condition de
Serviteur et reçoit du Père la condition de Seigneur.
Le fond du péché, c’est donc bien le refus d’être
créature, et de recevoir de Dieu sa propre existence et la participation à la
vie divine.
C 6 La sentence du Juge : 3, 14-19
« La condamnation frappe les coupables dans leurs
activités essentielles : la femme comme mère et épouse, l’homme comme
travailleur. Le texte ne peut pas signifier que, sans le péché, la femme aurait
enfanté sans douleur et que l’homme aurait travaillé sans avoir la sueur au
front. Autant vaudrait conclure du v 14 qu’avant le péché les serpents avaient
des pattes (!!!).
Le péché bouleverse l’ordre
voulu par Dieu : au lieu d’être l’associée de l’homme et son égale, la
femme deviendra la séductrice de l’homme, qui l’asservira pour en avoir des
fils; au lieu d’être le jardinier de Dieu en Eden, l’homme luttera contre un
sol devenu hostile. Mais le grand châtiment sera la perte de la familiarité
avec Dieu.
Ce sont là des peines héréditaires. Pour que soit
dégagé l’enseignement d’une faute héréditaire, il faudra attendre que St
Paul mette en parallèle la solidarité de tous dans le Christ Sauveur et la
solidarité de tous en Adam pécheur ».
C7 Le Protévangile
Le péché à peine consommé, la sentence à peine prononcée,
on voit que le Seigneur n’abandonne pas les humains à leur triste sort.
Il prend soin d’eux. Le double épisode symbolique du
vêtement est déjà très parlant : lorsque l’homme et la femme se fabriquent
eux-mêmes leurs propres vêtements, après avoir découvert leur nudité-faiblesse,
ils ne savent que coudre des feuilles de figuier, bien éphémères ! (3,7) Aussi
le Seigneur, après avoir prononcé la sentence, leur prépare des tuniques de
peau, beaucoup plus solides, qui les protègeront ! (3,21)
Mais surtout, c’est la condamnation du serpent qui
contient déjà une annonce de salut : c’est pourquoi on l’appelle ‘premier
évangile’ (Protévangile) (3,14-15). La lignée du serpent est atteinte à la
tête, et celle de la femme au talon seulement; en outre, manger de la poussière
est signe de défaite.
L’hébreu écrit : « il (le lignage de la femme)
t’écrasera la tête ».
Le grec des LXX, au lieu du pronom neutre (‘il’ neutre =
lignage) choisit le pronom masculin (‘il’ masculin = un homme) témoignant ainsi
d’une très ancienne interprétation messianique.
Quant à la Vulgate, en latin, elle choisit délibérément
le prénom féminin : ipsa conteret (elle = la Femme), faisant ainsi une
interprétation mariologique de ce Protévangile.
3.3. Le péché atteint-il Dieu [29]?
Sûrement pas Dieu
en lui-même: la Bible a trop le souci de la transcendance divine pour suggérer
cela.
18 Les fils ramassent le bois, les pères allument le
feu, et les femmes pétrissent la pâte : ils font des gâteaux pour la Reine
du ciel, ils versent des libations à d’autres dieux ; c’est ainsi qu’ils
m’offensent.19 Mais est-ce bien moi qu’ils offensent ? – oracle du Seigneur.
N’est-ce pas plutôt eux-mêmes, pour leur propre honte ?
« En
péchant contre Dieu, l’homme n’aboutit qu’à se détruire lui-même. Si Dieu nous
prescrit des lois, ce n’est pas dans son
intérêt, mais dans le nôtre ». « Mais le Dieu de la Bible n’est pas
celui d’Aristote, indifférent à l’homme et au monde. »
* le péché atteint ceux que Dieu aime ;
indirectement, il atteint Dieu. Ainsi pour David, faisant tuer Urie le Hittite
pour lui prendre sa femme, Bethsabée : « Tu as méprisé Yahvé ».
* Séparant l’homme de Dieu, unique source de vie, le
péché atteint Dieu dans son dessein d’amour :
11 Une nation a-t-elle jamais changé de dieux ?
– Et ce ne sont même pas des dieux ! Or mon peuple a échangé sa gloire
contre ce qui ne sert à rien.12 Cieux,
soyez-en consternés, horrifiés, épouvantés ! – oracle du Seigneur.13 Oui, mon peuple a commis un double
méfait : ils m’ont abandonné, moi,
la source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes, des citernes
fissurées qui ne retiennent pas l’eau !
* Ingratitude de l’enfant à l’égard de son père, voire d’une mère
qui ne peut « oublier le fruit de ses entrailles, quand bien même les
mères oublieraient » ; infidélité de
l’épouse, indifférente à l’amour inlassablement fidèle de son époux :
07 Je me disais : « Après avoir fait tout cela, elle reviendra vers moi. » Mais elle
n’est pas revenue !
11 Le Seigneur me dit : Au fond d’elle-même,
l’infidèle Israël est juste, comparée à Juda la perfide !12 Va proclamer au nord ces paroles. Tu
diras : Reviens, infidèle Israël ! – oracle du Seigneur. Je ne ferai
pas tomber sur vous ma colère, car je suis bon – oracle du Seigneur et je ne
garde pas rancune à jamais.
Plus la Révélation progresse et s’approfondit, « plus le péché
apparaît comme la violation de rapports personnels, comme le refus de
l’homme de se laisser aimer par un Dieu qui souffre de ne pas être aimé, que
l’amour a pour ainsi dire rendu vulnérable. »
3.4 Quel remède au péché ?
Dieu presse l’homme de revenir à lui, d’accepter d’être aimé à nouveau.
Or cela se trouve hors du pouvoir de l’homme : « Fais-nous revenir et
nous reviendrons ». Seul Dieu peut
faire revenir l’homme vers lui.
Le Miserere (Ps
51-50) résumé et sommet de la révélation du péché dans l’AT.
a) le péché est un
acte contre Dieu, pas seulement contre un ordre moral ou social:
« Contre Toi,
toi seul j’ai péché... »
b) le péché est
vraiment le mal de l’homme. Il ne suffit pas qu’il soit oublié, il doit être
effacé, l’homme doit être purifié, et même recréé : v 3, 4, 9, 11-12.
Le verbe CRÉER
(BARAH en hébreu) est utilisé dans la Bible seulement dans 4 cas :
1. Dieu crée le monde : Gn 1
2. Dieu crée Israël en tant que peuple : Is 43, 1
3. Dieu crée du nouveau sur la terre : la nouvelle alliance : Jr 31,22
4. Dieu créera les cieux nouveaux et la terre nouvelle : Is 65,17.
La re-création du
coeur de l’homme entre donc dans cette série.
c) Un tel remède
(le besoin d’être recréé) est hors de portée du pécheur : Dieu seul peut
effacer, purifier, recréer...
L’objet du psaume
est donc de le lui demander : l’offenseur demande à l’offensé de supprimer les
effets de l’offense !
d) Dieu est un Dieu
de pitié, de fidélité, de tendresse (v 1). C’est ainsi que Dieu se définit
lui-même quand il pardonne après l’épisode du veau d’or : Ex 34,6.
e) « Mon
sacrifice à Dieu c’est un esprit brisé... un coeur broyé... » (v 19)
Le vrai sacrifice,
ce n’est pas le sacrifice rituel du Temple (les animaux). Ce que l’homme peut
offrir à Dieu, c’est un coeur humble et disponible. Il faut qu’il se laisse
réconcilier !
3.5 Le péché dans le Nouveau Testament :
Pour le NT, il ne s’agit pas tellement de regarder les
péchés : ce n’est pas le plus important; il s’agit surtout d’aller en
profondeur pour se demander : quelle est
la racine des péchés? D’où viennent-ils?
à cf tableau en annexe
A/ Le
tableau ci-dessous vise à montrer ce qui est indiqué dans la phrase
introductive : le NT s’intéresse moins aux péchés en tant qu’actes
peccamineux, qu’à rechercher la racine
des péchés :
·c’est déjà vrai chez les synoptiques, où l’on
voit émerger la notion d’anomia, état
général d’hostilité à Dieu ;
·
c’est beaucoup plus vrai chez St Jean : il
ne parle jamais DES péchés, mais DU péché, notamment du « péché du
monde », comme cette puissance négative de refus de Dieu, qui ira jusqu’à
tuer le Christ.
·
Quant à Paul, il bâtit une véritable ‘théologie
du péché’, en contrepoint de sa théologie du salut, càd de sa rencontre
décisive avec le Christ ressuscité.
“Ce qui (lui) importe d’abord, pour ce qui est du péché, c’est l’histoire
d’un désastre qui touche l’humanité tout entière, mais aussi la lutte
victorieuse menée contre lui par le Christ et son Évangile. L’apôtre révèle en
effet une vision du monde globale et universelle”.
Son univers, c’est
l’empire romain, Rome y compris (et même l’Espagne: Rm 15,21). Paul dessine une
véritable histoire du salut: on peut parler du péché, parce qu’il est vaincu en
Christ.
“Pécher, c’est faire le mal, participer par ses actes au malheur qui divise
et déchire le monde, drame absolu dont nul humain ne peut s’abstraire ou
s’absoudre et qui conduit à la mort. (…) En JC, second Adam, ce drame sans
issue se trouve retourné: à la désobéissance se substitue l’obéissance, à
l’injustice, la justice, à la condamnation la grâce et la justification”.
B/ Un auteur contemporain
soutient cette idée paradoxale a priori: Jésus, dans les évangiles
synoptiques, s’intéresse très peu au péché (ou aux péchés). (En effet, on y trouve seulement une
quinzaine d’occurrences des mots cités dans le tableau – alors que c’est plus
de 80 fois chez Paul!).
En revanche, à
l’évidence, Jésus s’intéresse aux pécheurs, pratique avec eux la communauté de
table, ce qui est une transgression des règles de pureté. Alors que, pour les
scribes et les pharisiens, le péché consiste surtout à manquer à ces règles.
* D’où la
dénonciation fréquente, et parfois violente, de cette hypocrisie: ce n’est pas
du dehors que vient l’impureté, mais du dedans, du coeur de l’homme:
20 Il leur dit encore : « Ce qui sort de
l’homme, c’est cela qui le rend impur.21 Car c’est du dedans, du cœur de l’homme,
que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres,22 adultères, cupidités, méchancetés,
fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure.23 Tout ce mal vient du dedans, et rend
l’homme impur. »
C/ Mais surtout, Jésus vient révéler « l’inconcevable
miséricorde de Dieu pour le pécheur ». Il faut évidemment citer ici tout
le ch 15 de St Luc, et surtout la parabole ‘de l’enfant prodigue’ (ou
des deux fils, ou du Père miséricordieux). La relation au père ne va pas sans
la relation au frère. Le Pape Jean-Paul II a écrit un magnifique commentaire de
cette parabole dans l’encyclique : ‘Dieu riche en miséricorde’.
3.6. Les degrés de gravité du péché:
A. Une hiérarchie
des commandements apparaît dans la Bible:
* en premier lieu
vient l’honneur que l’on doit à Dieu ;
* dans les
relations interpersonnelles, la protection de la vie et de la famille est
primordiale;
* “les obligations
de justice envers les classes défavorisées sont abondamment énoncées”, sans que
des sanctions soient prévues en cas de non-observance; les juges sont sommés
d’exercer correctement la justice devant les tribunaux, sans que des normes
viennent garantir la situation réelle des personnes en situation de faiblesse.
B/
Péché mortel, péché véniel: une distinction qui mérite d’être maintenue – et
interprétée:
Le péché est dit mortel quand il
mène à la mort spirituelle (appelée aussi la seconde mort); “il détruit la
charité dans le coeur de l’homme par une infraction grave à la Loi de Dieu. Il
détourne l’homme de Dieu, qui est sa fin ultime”. Il
est souvent porteur de mort physique, de mort de la communication humaine,
toujours.
« Au cas où, dans la libre disposition de soi pleinement accomplie de
l’homme, le péché trouverait, par la conclusion de la vie temporelle dans la mort,
sa portée définitive, il deviendrait damnation ».
Le péché mortel
présuppose d’être commis “en pleine connaissance de cause, avec une totale
liberté, et dans une matière objectivement grave”: on comprend aisément que ces
trois conditions (connaissance, liberté, matière grave) fassent l’objet de
questions et de remises en question, notamment sous l’influence des sciences
humaines.
Le péché dit véniel est un manquement à la volonté
de Dieu commis soit sans liberté suffisante, soit sur un point non essentiel,
qui n’atteint pas l’orientation foncière
de notre être vers Dieu dans la grâce.
“Seul le premier (le péché mortel) dit bien l’essence du péché car il est
contre la loi de Dieu, alors que le second pousse le sujet à agir ‘praeter legem’, en dehors de la loi, parce
qu’il n’observe pas la mesure raisonnable que la loi a en vue. Le péché véniel n’est donc qualifié de péché
que par un mode analogique. Il n’est ni signe ni cause d’un changement radical
d’orientation du coeur. Il manifeste ce que l’on pourrait appeler un
ralentissement du mouvement de l’être vers Dieu”.
C/ Le péché
irrémissible (impardonnable) ?
Matthieu ch 12
31 C’est
pourquoi, je vous le dis : Tout péché, tout blasphème, sera pardonné aux
hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne sera pas pardonné.
32 Et si
quelqu’un dit une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera
pardonné ; mais si quelqu’un parle
contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera pas pardonné, ni en ce monde-ci, ni
dans le monde à venir.
Jusqu’où peut aller la liberté humaine? Jusqu’à ce refus
absolu?
“Il n’y a pas de limites à la
miséricorde de Dieu, mais qui refuse délibérément d’accueillir la miséricorde
de Dieu par le repentir rejette le pardon de ses péchés et le salut offert par
l’Esprit Saint. Un tel endurcissement peut conduire à l’impénitence finale et à
la perte éternelle.”.
Le vocabulaire du péché dans le NT:
MATTHIEU / Synopt. |
JEAN
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PAUL
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1/ Les péchés
amartia = faute, erreur
de amartanô =
dévier
opheilèma = dette
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1/ Les péchés
amartèma = déviation
paraptôma = chute
parabasis = transgression
Paul, lui, s’intéresse beaucoup AUX péchés : on ne
trouve pas moins de 12 listes de péchés dans ses écrits!
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2/ Tendances mauvaises ou vices
Plus profond que les péchés, Paul creuse jusqu’aux
tendances fondamentales qui sont la cause de tous les péchés:
pleonexia = cupidité
(vouloir toujours davantage au détriment d’autrui)
epithumia = convoitise
(volonté d’auto-suffisance; résume tous les péchés des
pères dans le désert, pendant l’Exode; on veut s’appuyer sur soi-même et non
sur Dieu)
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3/ LE péché
anomia = iniquité
Etat général d’hostilité à Dieu,
en particulier en contexte eschatologique (jugement,
fin des temps) : Mt 7,23; 13,41; 24,12
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3/ LE péché
(amartia)
adikia = injustice
anomia = iniquité
Jean ne s’intéresse qu’à ce seul niveau du péché, comme
puissance négative de refus de Dieu, qui ira jusqu’à tuer le Christ.
Il emploie souvent l’expression ‘péché du monde’
pour désigner cet état de refus global.
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3/ LE péché
amartia : Rm 5-8
C’est une Puissance entrée dans le monde avec la
transgression d’Adam et qui a passé dans tous les hommes.
Rm 5,12 en particulier.
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