Pierre / Mt 16 13-20 / une homélie

*Panneau accroché sur la porte de l'église St Pierre de Gradignan. Probablement ancien panneau de la chaire aujourd'hui disparue.
  
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Qui parle quand Simon répond à Jésus « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant » ?
Jésus le dit bien : « ce n’est ni la chair ni le sang » « c’est mon père qui est aux cieux ». Ce qui parle, ce n’est pas la foi de Simon, c’est le Père qui parle en lui, qui vient habiter sa chair et son sang ….
En parlant, Simon s’est laissé déborder, il s’est laissé traverser par une parole qui n’est pas la sienne… et c’est justement ça qui est extraordinaire, et c’est ça que Jésus salue.
C’est parce qu’il est dessaisi de sa parole pour laisser parler la voix du Père à travers lui que Simon devient pierre. Ce n’est pas un changement de nom, c’est un changement de nature. Jésus ne dit pas « tu t’appelles Pierre », il dit « tu es pierre » tu es roc, rocher. C’est quand tu te laisses modeler par le Père que tu es pierre.
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Il est pierre, solide, stable et fiable pour le temps où il se laisse habiter par le Père…. Probablement que c’est un état passager. C’est justement là-dessus, sur cette dépossession de soi que Jésus veut fonder son Eglise. Pas St Pierre de Rome, pas l’institution Romaine, pas la papauté… l’Église. Eglise ça veut dire « rassemblement » « convocation ».
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En passant par la porte de cette église, levez la tête et vous verrez un panneau de bois sculpté qui représente Jésus donnant les clefs à Pierre*. Et puis montez ici dans l’abside et retournez-vous et vous verrez le vitrail de la façade. Il représente la tiare du pape entourée des clefs, une en or pour le ciel, une en argent pour la terre**.

Regardez bien et dites-vous que ces clefs, elles ne servent ni à ouvrir ni à fermer mais à lier et à délier.
● Dites-vous que Jésus ne les confie pas au pape, mais à ceux qui, l’espace d’une seconde, sans s’en apercevoir, se laissent habiter par la parole du Père. Quand vous vous laissez traverser par la Parole, ces clefs sont les vôtres.
● Dites-vous que c’est vous qui avez le pouvoir de jouer sur les liens, de lier et de délier… que c’est ici et maintenant qu’il faut y travailler puisque ce qui se joue ici et maintenant se joue aussi dans le royaume.
● Dites-vous enfin que chaque fois que, dans votre faiblesse, vous vous remettez dans les mains du Père, vous êtes pierre, celle que se choisit le Père pour construire non pas une forteresse romaine qui se fissure de partout, mais son royaume éternel contre lequel les forces de la mort ne peuvent rien.

╬ Amen
Sylvain diacre
**Vitrail de la façade. Armoiries de Léon XIII pape de 1878 à 1903


Magnificat ! / Luc 1 39-56 / Homélie du 15 Août

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Pour essayer d’apercevoir Marie sous les tonnes de marbres et les kilomètres de peintures, Il va falloir suivre la voie que nous propose Thérèse de Lisieux, Docteur de l’Église : « En méditant ta vie dans le saint Evangile J’ose te regarder et m’approcher de toi ». Retourner à la source, scruter Marie dans ce que l’Evangile dit d’elle. L’Evangile débarrassé de son épais vernis de discours et de piété. Tendre l’oreille à la voix de Marie quand elle parle dans l’Evangile et cesser de parler à sa place.

Alors quelle surprise !
Après le départ de l’ange, Marie n’a rien dit. On ne sait rien de son état d’esprit. Pas une trace de joie. Elle prend la route et va chez sa cousine, on ne sait pas pourquoi (on peut toujours inventer mais l’Evangile ne dit rien). Et il faut la voix d’Elizabeth qui l’accueille et la désigne comme la « mère de son Seigneur » qui la déclare « bénie » et « heureuse », pour que Marie parle enfin.
Jamais elle ne parlera aussi longtemps de tout l’Evangile.
Marie se tient là toute entière, dans ce grand cri de joie que l’on a appelé le « Magnificat », si l’on veut la contempler, c’est là qu’elle se dévoile, c’est là qu’elle se donne à voir.
On pourrait s’attendre à ce qu’elle se retourne sur elle-même, toute éblouie par l’intimité de cette grossesse extraordinaire, qu’elle se replie sur son histoire, sur la grâce que le Seigneur lui fait…. Mais non ! Aussitôt, elle mesure que c’est un événement aux dimensions du monde et de l’Histoire. Elle proclame une joie inédite, inouïe, unique au monde et à l’histoire.
La joie de Marie, c’est la joie du temps « tous les âges me diront bienheureuse » « d’âge en âge ». C’est la joie des humbles élevés, des affamés comblés.
C’est aussi la joie de ceux qui aspirent à la chute des puissants, à la ruine des riches…
Parole déroutante, voix forte et assurée qui féconde en sa Joie une révolution.
Marie ne fait pas ici de la poésie, elle n’est pas en train de broder sagement au milieu des anges : elle renverse le monde et l’histoire, elle proclame que c’est fait, ce n’est plus à attendre : le temps du riche, du puissant et du satisfait est terminé. Parce qu’elle porte en son sein la Parole, Dieu fait chair qui vient sauver le monde. Parce que sa joie c’est la Joie d’un monde à naître et déjà là, un monde que nos yeux ne savent pas voir, que notre foi peine à seulement imaginer.

Rien de plus courageux que cette parole de Marie, rien de plus subversif, provoquant, audacieux ! Marie n’est pas ici cette figure de marbre ou de sucre, compassée et fade qui peuple nos imaginaires. Comme disait Bernadette, « Non, ce n’est pas cela ! ». C’est une jeune femme débordante d’énergie, pétrie d’écriture, qui ne mâche pas ses mots, qui clame au monde entier son espérance d’un monde différent.
(...)
Marie est bien plus que ce que l’on en a fait.

Amen
Sylvain diacre