Les ouvriers de la neuvième heure, Matthieu 20 / l'Homélie

Prends ce qui te revient, et va-t'en.
En préparant cette homélie, en lisant et relisant ce texte, en le tournant dans tous les sens, en m'appuyant sur le psaume, la première et la deuxième lecture, je n'ai pas pu me résoudre à regarder les hommes qui ont été embauchés les premiers autrement qu'avec compassion.
Ici, on sait combien le travail de la vigne est dur. On sait ce que c'est que travailler une journée entière aux intempéries, courbé devant la vigne pour en prendre soin.
La situation décrite dans l'Evangile de ce dimanche est toujours d'actualité. Chaque jour, des femmes et des hommes sont embauchés pour la journée. Parfois, ils travaillent au noir pour un petit salaire. Alors, il n'est pas question dans le contrat de travail de cotisation pour la protection sociale ou la retraite et encore moins de taxe sur le travail.
Et, comme à toutes les époques, le journalier loue ses bras pour nourrir sa famille. Plus même, il propose sa force de travail pour ne pas se sentir retrancher de la société des humains.
Cet homme-là connaît la valeur du smic horaire, 9,53€. Alors quand après avoir travaillé 8 heures de rang, il touche autant que celui qui n'a travaillé qu'une heure, il a de quoi récriminer. Le dernier embauché reçoit une pièce d'argent, le premier se voit bien en recevoir au moins 8 ou 9.
Logique, Le travail est une valeur comme, au même titre que le m2 de terrain, que le litre de gasoil, que la prestation intellectuelle ou le lingot d'or. Et une valeur cela se multiplie ou se divise. On peut lui appliquer des opérations arithmétiques.
Ma perplexité a grandi lorsque j'ai lu cette phrase " Prends ce qui te revient, et va-t'en". Comment le Christ peut-il nous enseigner que le royaume des cieux est comparable à un maître qui dit à un de ses employés " Prends ce qui te revient, et va-t'en" ? Quand bien même, cet employé proteste. Car il proteste avec son intelligence, il raisonne avec ce que le Seigneur lui a donné, sa capacité à calculer. Bon sang, mais c'est juste de recevoir neuf fois plus quand on a travaillé neuf fois plus !
Curieusement, ce qui a dénoué mon incompréhension, ce sont les mathématiques elles-mêmes. Une pièce d'argent n'était-ce pas beaucoup pour une journée de travail ? Une pièce d'argent cela ne suffit-il pas à prendre soin d'une famille pour longtemps ?
Il y a comme une promesse d'abondance à travailler pour le Royaume des Cieux. Tout devient plus clair à la lumière du don de Dieu. Que peut-on recevoir de plus que l'abondance de l'amour de Dieu ? Cela a-t-il un sens de recevoir neuf fois plus de l'amour de Dieu ? L'infini multiplié par neuf c'est toujours l'infini ?
Cela rappelle, le texte de l'exode dans l'épisode de la manne : "Celui qui en avait ramassé beaucoup n’eut rien de trop ; celui qui en avait ramassé peu ne manqua de rien. Ainsi, chacun en avait recueilli autant qu’il pouvait en manger" (Ex 16, 18)
On peut facilement imaginer qu'après des jours de privation dans le désert, les hébreux se sont précipités sur ce pain venu du ciel pour se gaver jusqu'à satiété. Là encore le don de Dieu était ni trop ni trop peu, juste ce qu'il faut pour vivre en homme digne.
La pièce d'argent c'est le salaire que chacun d'entre nous reçoit quand il travaille à la vigne du Seigneur. Car il n'y a pas de plus grande récompense que la joie de servir le Seigneur, que la joie de laisser venir l'Evangile se répandre dans le monde.
Annoncer l'Evangile, c'est le rôle qui est assigné à chaque baptisé qui reçoit le don de prophète.
Lors de notre baptême, le Seigneur est sorti au petit jour pour nous embaucher à sa vigne. Nous avons accepté le contrat qu'il nous proposait, à savoir le don de la vie qu'il nous a fait ce jour. Ce jour où nous avons été plongés dans la mort et la résurrection du Christ, nous sommes déjà ressuscités pour la vie éternelle. A quoi bon recevoir neuf fois la vie éternelle quand une fois la vie éternelle suffit ?
Il y en a qui sont baptisé bébé, d'autre au soir de leur vie et tous reçoivent l'abondance de la vie du Seigneur, tous nous sommes sauvés du péché qui nous pousse au calcul, à l'envie et à la comparaison.
Je voudrais maintenant m'adresser aux non baptisés. Il y en a peut-être dans l'assemblée. Ne tardez pas à venir à la rencontre du maître de la vigne ! La joie que procure le soin de la vigne du Seigneur est immense car c'est à ce jour que vous recevrez le salaire du Royaume des cieux. Lors de la rencontre du Seigneur au moment du baptême, vous entendrez "Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemin." Et cette parole vous délivrera de tout ce qui vous englue dans les logiques arithmétiques du monde.
Seigneur Jésus, toi qui as répandu ton sang pour la multitude, montre-nous le chemin de ta vigne où les pauvres attendent avec espérance l'annonce de ton Evangile.
Père, toi qui fais tout homme à ton image, donne-nous la force de sortir au petit jour pour travailler à ta vigne.
Esprit-Saint, toi qui visites les baptisés, ravive en nous la joie de notre baptême.
Amen !

Dominique Bourgoin, diacre.

La Croix glorieuse / Jean 3 13-17 / L'Homélie

     Les trois textes que nous venons d’entendre nous offrent de contempler ce que nous faisons ici.
 
Le dispositif qu’il nous montre pour nous emmener à regarder, à prendre le temps de réfléchir c’est une succession de trois poteaux, en grec cela se dit stauros, chez nous çà se traduit par  la croix. Trois croix donc : chacune élève, expose la figure du commandement en chef de notre existence : un serpent de bronze,  le corps crucifié de Jésus, et le corps rayonnant du Fils de Dieu dans la lumière de son Père.
 
Les deux derniers sont ici, visibles, dans cette église. Le premier, le serpent de bronze sur le mat, nous venons de le quitter un moment en entrant ici. Les récits de l’ancien Testament nous sont donnés comme figures de là où nous venons.
 
     En deux mots : dans le désert, les fils d’Israël sont passés par une vraie déprime. Dieu et Moïse les avaient libéré de l’esclavage de l’Egypte ; et maintenant ils n’ont plus rien à se mettre sous la dent. Tout va mal. C’est la crise. Alors ils en veulent à Moïse, à Dieu, à tout le monde. Et Dieu en rajoute. Ce n’est pas seulement dans votre tête, dans votre âme que vous allez souffrit, être malheureux, c’est physiquement… des serpents brûlants se lèvent dans le désert et mordent les fils d’Israël et plusieurs en meurent. Alors là, quand çà vous touche dans votre corps, personne ne fait plus le malin ; on commence à comprendre que c’est peut-être lié à la vie que nous menons, qu’on a complètement lâché Dieu et ses commandements. On commence à relire le vieux récit de l’antique serpent dans le jardin. Il nous a trompés, comme disait Eve.  A l’Arbre de vie, nous avons préfère ce qui est beau à voir, bon à manger, utile pour connaitre, le bien, le mal et pour tout maîtriser. Une seule chose  nous inspire : dévorer la vie à belle dent et nous révolter ou déprimer quand le patron, ou un collègue, ou notre femme ou notre homme ou nos enfants ou n’importe quoi dans la société, nous met des bâtons dans les roues pour faire de notre vie ce qu’on veut. 
 
Mais cette chose-là qui nous est arrivé ne fait qu’empirer. Notre péché en fait c’est un ratage ; nous nous sommes trompés de maître et la cible de la belle vie, on est en train de la rater. Alors nous venons ici dans l’Eglise, comme les fils d’Israël vers Moïse. Et Dieu commence le traitement. Tu vas mettre sur un mat un serpent un bronze. Ils lèveront les yeux et ils verront : ce serpent qui pourrit le dessous de leur âme et qui maintenant les mord dans leur chair, c’est une sculpture, c’est du fabriqué par vos mains. C’est votre construction du monde qui vous tue.
 
     Regardons maintenant le Christ en croix. A la place du serpent en bronze, il y a le corps de Jésus. Un vrai corps d’homme. Il a été arrêté, condamné, flagellé et il est mort. Il est là sous nos yeux. Ce qui nous est donné à voir c’est un fils d’homme rejeté, défiguré et qui n’a pas un instant cessé d’aimer son Père et nous, de prier son Père de toute sa force, de toute son espérance, il nous a pardonné, sans raison, sans jugement, simplement parce qu’il est le fils de Dieu, l’envoyé du Père et qu’il obéit au désir de Dieu de faire de nous des fils qui portent sa ressemblance. Son désir est là sous nos yeux. Il n’appartient pas au passé, à l’histoire, à la culture d’un moment, il est libre de tout, il agit, hier, aujourd’hui et demain. 
 
Il défait nos liens, il pardonne notre rébellion. Il le fait maintenant pour peu que nous acceptions de voir que c’est nous qui l’avons mis dans cet état et qu’il faut changer de route. Vite. Clairement. Le mystère du pardon et de la guérison de nos vie est là ; nous y sommes entrés sans trop savoir comment ; nous y habitons ensemble maintenant.
 
       Déjà se profile, si nous levons les yeux, et regardons devant, le corps du Christ glorieux, sa croix glorieuse, et dans le fond, en arrière de son corps, les bras largement ouverts, démesurément ouverts, une lumière pour nous, la présence de notre Père qui nous attend. Ce n’est pas l’avenir. L’attente du Père, la lumière d’en-haut, le désir du Christ de nous prendre, c’est là sous nos yeux. A nous de nous y offrir, de communier…
 
     Alors quand nous sortirons tout à l’heure d’ici, ce ne sera pas le ciel sur la terre, le paradis revenu, mais il y aura des hommes et des femmes dans ce monde, qui portent le reflet de la lumière de Dieu par laquelle ils viennent de passer, physiquement, en chair et en os.
 
Parce que c’est pour le monde, pour nous, que toutes ces choses sont ici dans cette église, ces croix, ces récits, nos offrandes et ce que le Christ va en faire, la Parole de Dieu qui nous est adressé, la prière du Christ, la lumière d’en haut. C’est pour nous. Nous sommes entrés sou le signe du serpent, nous sortons sous le sacrement du Corps du Christ. Nous sommes entrés marqués par ce que nous faisons du monde et de la vie ; nous allons sortir marqués de ce que Dieu fait de nos corps mortels.

Voilà ce que nous faisons ici, maintenant, nous sommes en train de passer dans le mystère de l’œuvre de Dieu.
Jean-Pierre Duplantier

Interventions du CP et de l'EAP pour le départ de Jean-Pierre Ranga

Voici les textes qui ont été lus lors de la messe d'Action de grâce pour le départ de Jean-Pierre Ranga.

Dans sa catéchèse sur le mariage début avril le Pape François nous disait : « pour qu’un mariage réussisse et dure, il faut utiliser tous les jours 3 mots : Bonjour, Pardon, Merci ».

Permettez-moi de reprendre ceux-ci pour clore cette action de grâce en m’adressant, en votre nom à Jean-Pierre.

+ Bonjour et bienvenue : Puisses-tu continuer, avec ce sourire qui est le tien en toute humilité, délicatesse et simplicité, à accueillir ceux que tu vas rencontrer et que nous, en souvenir de toi en fassions de même.

+ Pardon. Présent avant les célébrations, tu attendais pour accorder le sacrement de Réconciliation, ce sacrement qui fait toujours peur et dont on s’éloigne alors qu’il est fait pour rapprocher. Oui, pardon de ne pas avoir compris ton ou tes choix, tout dévoué que tu es à la mission, à l’appel, au service. Pardon surtout de t’avoir laissé seul face à certaines situations.

+ Merci. Cela est plus facile mais comment le dire simplement quand mille mercis n’y suffiraient pas. Merci d’avoir dit « oui » il y a trois ans. Cela nous a permis avec toi
-De cheminer à tes côtés, à la rencontre de la Trinité, nous montrant le Père, le Fils et l’Esprit.
-De goûter et de communier aux deux Tables.
- De découvrir la lecture des psaumes.
- De prier Marie depuis l’autre rive.
- De soutenir le service des pauvres et des malades.
-D’être attentifs aux jeunes et de partager leur joie.
Encore merci et comme nous disons tout simplement dans le sud-ouest quand l’on se quitte à ceux qu’on aime : «  Adieu et à Bientôt  Jean-Pierre ». Ne sachant le dire en « malgache »je te dit en gascon « A Dichat » ou «  A Diu ».
 Le conseil Pastoral.

Cher Jean-Pierre,
Nous sommes donc réunis pour rendre grâce pour ce temps partagé avec toi.

Pour nous, membres de ton EAP, résumer ces années à tes côtés ne donnerait qu'un portrait trop imparfait de ce que tu auras été pour Gradignan.

Nous pouvons cependant témoigner de la joie qui aura été la notre à te côtoyer, en rendant grâce pour tout ce que tu nous auras apporté et appris :

- Ce souci constant de mettre la communauté au travail de la Parole.
Dans la lecture d'abord, celle de l'évangile et celle des psaumes,
au travail de la liturgie, à celui des sacrements et de la prière....

- Cette volonté de donner le goût de l'Eglise.
A l'occasion de l'anniversaire du Concile, mais aussi en nous encourageant à suivre la moindre proposition diocésaine !

- Cette attention à prendre soin du lien fraternel :
Ton attention particulière aux groupes de solidarité, ton enthousiasme pour les plus jeunes, ta présence attentive aux plus âgés et aux malades...

- Enfin, cette vision englobante et déroutante de la vie liturgique qui nous faisait préparer Pentecôte à Noël et Noël aux premières communions tout en pensant déjà à Pâques...

Et bien des choses encore...

Nous ne choisissons pas nos pasteurs, ils nous sont donnés, ils nous sont aussi repris,

ton départ inattendu nous cause beaucoup de peine tu le sais, bien des projets sont suspendus, bien des chantiers ouverts restent fragiles, mais nous nous consolons en sachant que d'autres vont maintenant profiter de ton rire et de ton énergie (disons de ta « force tranquille »!), de ta science et de ton humilité.
Et nous, de notre côté, nous allons avoir la joie de rencontrer un nouveau pasteur, à nouveau don de l'Eglise.

Rendons grâce donc en célébrant cette eucharistie, pour ta présence, pour ton départ, en portant dans notre prière tes paroissiens de Caudéran, ton évêque à Madagascar, et le père Fabien qui prendra ta suite.

L'Equipe d'Animation Pastorale

En route pour une nouvelle nomination !

Je suis engagé sur le chemin du ministère presbytéral afin de concrétiser les propositions de l'évêque pour la vie et la mission de l'Eglise locale. Avec les autres croyants nous faisons Eglise et nous vivons la communion en Christ.
J’étais très heureux de cette expérience d'Eglise ici à Gradignan durant les quatre années passées. Je devais de temps en temps donner des nouvelles aux prêtres et aux chrétiens de Fenerive sur ce que je partageais ici avec les chrétiens.
Il me fallait passer par des tâtonnements, des hésitations durant le temps d'adaptation. Puis on ne sait trop ni pourquoi ni comment, il y a un déclic qui fait que vous retrouvez la confiance. La date référente pour moi est le rassemblement au Fronton du 22 mai 2011. La qualité de l'échange en même temps que la simplicité des questions m'ont aidé à me remettre en piste pour vivre le service dans la joie et la confiance !
C'est seulement plus tard qu'Alain Dagron m'a suggéré d'accepter de devenir curé de la paroisse et de collaborer avec les prêtres, le diacre, les divers conseils qui fonctionnent et soutiennent la vie de la paroisse. Bien plus tard nous avons tous eu la joie de voir l’un de nous choisi pour le service du diaconat. L'ensemble de ceux et celles qui avaient accepté le rôle de veilleurs dans la paroisse a permis de trouver un certain rythme dans la marche de l'ensemble.
Je me suis aperçu très vite que nous devions compter les uns sur les autres, même s'il y avait de fréquentes absences : pour des raisons familiales ou professionnelles, ceux qui pouvaient venir un dimanche ne pouvaient pas revenir le dimanche d'après. Ceci n'empêchait pas à ceux qui pouvaient venir d'assurer le service de la liturgie et le service de la charité. Ceci n'empêchait pas les responsables de rappeler les obligations nécessaires pour la vie d'une paroisse.
Les propositions pastorales nous ont aidés à trouver la respiration dans le rythme de notre vie paroissiale : les lectures de l'Ecriture, les préparations des grands dimanches, la mise en place progressive de B'abba et de ses interventions au milieu de nous, la régularité des divers ateliers, la fidélité dans les célébrations en maison de retraite et la visite aux malades.
En plus de ces pratiques régulières des uns et des autres pour la vie de la paroisse, il y a eu les temps de grâce qui étaient donnés comme des dons de Dieu et des clins d'oeil pour nous aider à repartir : le 50° anniversaire du Concile, le 10° de la consécration de l'autel, la suggestion de revisiter le renouveau liturgique, l'intérêt apporté à des actions de solidarité et d'entraide ainsi que le temps donné pour le repas organisé par le chantier solidarité.
Je n'ai pas la prétention de reparler de tout ce qui a été accueilli ensemble comme don de Dieu chez les uns et les autres dans la paroisse. J’évoque ces quelques événements pour fonder l'action de grâces, et pour la compléter avec les prières d'offrande et de réconciliation. C'est toujours en confessant les merveilles de Dieu que nous prenons une plus vive conscience de ce manque à combler, de ce désir à faire vivre. Et tout cela nous le remettons entre ses mains pour recevoir sa bénédiction. Et tout cela nous le présentons devant lui avec le souvenir vivant de ceux qui ont été appelés dans la maison du Père avant nous.

Nous avons la chance d'avoir reçu «un bâton qui nous guide et nous conduit»comme le dit le psalmiste. Avançons dans la joie de la foi et l'assurance de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ. Comme dit saint Paul rien ne peut nous séparer de cet amour de Dieu manifeste dans le Christ, pas même les séparations et les distances qui vont s'interposer entre nous.
Je vous remercie de l’accueil que j’ai trouvé dans la paroisse et vous dis à tous au revoir dans la communion de toute l'Eglise....
Jean-Pierre Ranga

Pour info : L’installation de Jean-Pierre Ranga à Saint Amand de Caudéran se fera le dimanche 14 septembre à 16h30.



Matthieu 16, Dialogue avec Pierre / l'Homélie

         A longueur de journée, Jérémie doit crier de la part de Dieu : « violence et pillage » et cela ne lui attire que des injures. Pierre, de son côté, ne supporte pas que Jésus annonce ses souffrances de la part des chefs, sa mort et sa résurrection : « Dieu t’en garde, Seigneur, cela ne t’arrivera pas. » Pierre n’a pas du entendre le dernier mot de Jésus, à propos de sa résurrection. Sa vision de la vie s’arrête à la mort, après… il n’y a pas vraiment de place pour çà dans sa tête.
Et nous-mêmes, y a-t-il chez nous des choses que nous ne supportons pas dans ce que Dieu nous montre? Des choses, dans le secret de notre cœur, qui nous font murmurer : « Non pas çà… »
La réaction de Jésus vis-à-vis de Pierre laisse à penser que l’enjeu est peut-être plus grand que nous le pensons. « Passe derrière moi, Satan, dit-il à Pierre, tu es un obstacle sur ma route, tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
            C’est quoi les pensées des hommes ? C’est compliqué. Trop compliqué pour une homélie, je sais. Je me suis donc réfugié derrière ce que le pape François a dit aux chrétiens de Corée du sud, ce mois-ci. C’était pas une conférence ou un enseignement, c’était une homélie : « Il a y un danger, dit-il, il y a une tentation qui vient aux moments de prospérité : c’est le danger que la communauté chrétienne se ‘‘socialise’’, c’est-à-dire qu’elle perde cette dimension mystique, qu’elle perde la capacité de célébrer le Mystère et se transforme en une organisation spirituelle, chrétienne, avec des valeurs chrétiennes, mais sans levain prophétique. Là se perd la fonction qu’ont les pauvres dans l’Église... Et ceci au point de se transformer en une communauté de classe moyenne, dans laquelle les pauvres arrivent à éprouver même de la honte : ils ont honte d’entrer. C’est la tentation du bien-être spirituel, du bien-être pastoral.... On ne chasse pas les pauvres mais l’on vit de telle manière qu’ils n’osent pas entrer, et qu’ils ne sentent pas chez eux... Que le diable ne sème pas cette ivraie, cette tentation d’ôter les pauvres de la structure prophétique même de l’Église et qu’il ne vous fasse devenir une Église aisée pour les personnes aisées, une Église du bien-être… En de telles circonstances, les agents pastoraux sont tentés d’adopter non seulement des modèles efficaces de gestion, de programmation et d’organisation issus du monde des affaires, mais aussi un style de vie et une mentalité guidés plus par des critères mondains de succès, voire de pouvoir, que par les critères énoncés par Jésus dans l’Évangile. Malheur à nous si la croix est vidée de son pouvoir de juger la sagesse de ce monde (cf. 1 Co 1, 17). Puissions-nous être sauvés de cette mondanité spirituelle et pastorale, qui étouffe l’esprit, remplace la conversion par la complaisance, et finit par dissiper toute ferveur missionnaire! »
            Croyez-vous que cela fasse partie de ce que Jésus dit à Pierre, « tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ». Si j’en juge par moi-même, je n’ai aucun doute.
Chez nous, il y a l’attrait du plaisir et la peur de la catastrophe. Et çà tourne en boucle, et c’est bien ordonné. Dans nos rêves se succèdent et s’entrechoquent des moments de jouissance, où je me prends pour le meilleur en ceci ou cela, avec les femmes, les hommes, la famille, la profession, la culture, la forme physique ou l’argent et le pouvoir; puis d’autres moments où la peur est terrible, comme pour un accident de santé, la disparition d’un être cher, la perte de son travail ou une grosse bêtise qu’on est en train de faire. Entre les deux, des rancœurs, des jalousies. A l’état de veille, çà continue et çà commande à notre insu nos impressions, nos rencontres, nos décisions et tout le reste.
C’est une déchirure à l’intérieur. Les uns s’y soumettent ; ils naviguent à vue, au jour le jour, souvent ils surnagent, parfois ils coulent à pic. D’autres refusent d’être esclaves de cette histoire, celle du dehors et celle du dedans. Seul ou ensemble, ils décident de changer les conditions, les lois, et se définissent un cap dont rien ni personne ne les fera dévier. Une seule chose compte : garder la maitrise de sa vie.
Mais ce va-et-vient épuisant entre le bon et le mauvais, le juste et l’injuste, ne dit pas tout de ce que nous sommes. Il reste en nous, enfoui, malmené, mais tenace, le dispositif que Dieu a instauré en chaque homme, pour qu’il devienne à son image, fils de Dieu. Ce dispositif émerge chez nous dès qu’une porte s’ouvre dans notre forteresse, individuelle ou collective. Il y a un avant, et un après, et un extérieur à notre propre existence. Il y a des rencontres, des visages, des paroles et des blessures qui laissent des traces. Il y a de l’étranger chez les autres qui vient secouer l’étranger qui est en moi. Une fois découvert chez les autres et chez moi, cet étranger ne me lâche pas. Je ne suis pas celui que j’imagine, je ne maitrise pas tout, je ne sais pas tout ni sur moi, ni sur les autres. Là se révèle notre véritable condition : je suis un pauvre ! Un pauvre, en attente d’une visite, d’un regard, d’un autre que moi. « Heureux les pauvres dans l’Esprit ».
Or la puissance de cette pauvreté centrale ne se révèle concrètement que si nous y consentons. Et notre consentement consiste à offrir l’hospitalité à cet étranger. Parce que des témoins nous l’ont manifesté, nous croyons que Jésus est cet étranger. Lui, Jésus n’est pas seul. Il est tourné vers son Père ; ils s’aiment. Il est tourné vers nous ; il nous aime. Et il vient à nous chaque fois que nous reconnaissons dans un autre sa demande d’être écouté, regardé, aimé. Il vient à nous chaque fois que nous reconnaissons, en nous et chez les autres, notre pauvreté commune.
            Cette aptitude à l’hospitalité offerte à celui qui vient de la part du Seigneur nous est donnée depuis le commencement. Mais elle doit être cultivée pour porter du fruit. Cette culture régulière s’appelle la « contemplation ». Devenir contemplatif n’est pas réservé aux moines ou aux religieux, c’est le chemin de tout baptisé. Ce n’est pas une option pour les croyants. C’est, comme le dit Paul, « l’offrande de notre personne, de notre vie, de nos pensées et de nos sentiments au travail de l’Esprit ». 
J’en reviens aux paroles du pape François « Pour qu’il y ait dialogue, il faut qu’il y ait empathie. Empathie sur le terrain de notre pauvreté commune. L’empathie consiste à ne pas se limiter à écouter les paroles que les autres prononcent, mais de saisir la communication non dite de leurs expériences, de leurs espérances, de leurs aspirations, de leurs difficultés et de ce qui leur tient le plus à cœur. Une telle empathie exige de nous un authentique esprit ‘‘contemplatif’. » Seule cette capacité d’empathie que nous donne l’Esprit saint, quand nous lui laissons le temps de modifier nos idées et notre regard, nous rend capables d’un vrai dialogue humain, dans lequel des paroles, des idées et des questions jaillissent d’une expérience de fraternité et d’humanité partagée ».

Je prie, avec vous j’en suis sûr, pour qu’un certain bien-être spirituel ne gomme pas l’empathie chez nous, pour que nous reconnaissions notre pauvreté commune comme un don de Dieu, pour que la croix du Christ ne perde pas sa puissance d’interroger la sagesse du monde.
Jérémie 20,7-9 ; Rom. 12,1-2 ; Mt. 16,21-27