DImanche 26 août : l'homélie

Lorsque dans la première lecture, Josué demande aux douze tribus d’Israël quel est le Dieu qu’ils choisissent, tout le peuple se range du côté du Dieu qui les a fait monter d’Egypte. Mais quand Jésus parle d’un corps, dont il est la tête et nous les membres, et que pour y prendre part il faut en passer par manger sa chair et boire son sang, tout le monde s’en va. Ce n’est vraiment pas ce que le peuple attend. Sauf pour les Douze, cette sorte de reste qui assure la maintenance de la structure des douze tribus d’Israël.
Qu’est-ce qui bloque ?
Pierre commence à l’entendre: « tu as des mots de vie éternelle ». C’est bien de cela qu’il s’agit : Jésus est vraiment homme et vraiment Dieu. Il parle le langage des hommes, il agit comme un homme, excepté le péché, mais c’est la Parole de Dieu qui se manifeste et sa puissance d’engendrement. Tout comme un homme, excepté le péché ; c’est çà qui bloque : le péché.
Le chemin de cette affaire mystérieuse de la condition humaine est raconté dans la Bible et nous la connaissons bien. Il y a dans l’homme, au commencement, ce que Dieu y a semé, dans son jardin : sa Présence, sa Parole, son amour, sa puissance : il nous a créé à son image. Mais ce qui apparaît en premier c’est qu’il y a du serpent entre nous. La semence de Dieu est toujours là, mais elle est encore enfouie, malmenée, déniée. Comme le serpent, l’homme se retrouve avec une langue fourchue ; comme le serpent, il rampe sur la terre, comme si c’était son plaisir de rester coller à cette terre ; il se dresse aussi comme s’il allait tout dévorer ou du moins le faire croire ; et son regard hypnotise, prend le contrôle de l’autre, le séduit, le fige, en fait sa chose.
Ce qui bloque est là, dans la condition humaine : dès qu’il ouvre les yeux, les oreilles et les mains, la convoitise s’affiche : tout ce qui passe à sa portée, il cherche à le saisir, à s’y lover, à l’étouffer et le digérer. Dieu s’est retiré de lui, et çà lui fait un grand vide, et Il lui faut combler ce vide, vite, et complètement. Mais, dès ce moment, il fait l’expérience que tout ce qu’il touche, qu’il met à la bouche, qu’il pense dans tête, qu’il embrasse avec ses mains et qu’il explore avec ses pieds, se révèle mal assorti à la présence qui lui manque. Il se retrouve seul.
Dans le livre de la Genèse, le premier traitement que Dieu offre à l’humain, c’est une « aide qui lui assortie ». Et,  jusqu’au bout de la route, cette relation de l’homme et de la femme, sera un fil conducteur majeur, pour venir au Christ ou non, pour laisser venir en lui la vie éternelle, ou non.
Dans notre expérience, ce sont nos contradictions qui nous mettent sous le nez la réalité de notre condition humaine. Nous n’en finissons pas de comparer, d’opposer les choses, les idées et les gens. Chaque jour se lèvent en nous des oui qui ne sont pas oui, et des non qui ne sont pas des non. Au plus profond de nous, les choses se nouent et se dénouent sans cesse.
C’est dans la tête ou dans le cœur que çà se mélange et s’affronte ? Non ! selon Jésus c’est dans la chair. Et c’est là que Dieu l’envoie : la Parole de Dieu s’est faite chair en Jésus-Christ. C’est par Lui, avec Lui, en Lui, que nous pouvons revenir au Dieu qui nous connaît. Dieu aime la chair des hommes et Jésus mange avec les pécheurs. Il maintient dans notre chair l’espace pour l’accueillir.
C’est cela qui éclaire la façon dont Jésus s’y prend avec nous. Il nous révèle les contradictions qui ont pris pension chez nous et entre nous. Avec les paraboles il nous fait constater combien notre raison est soumise à des tensions entre le vrai et le faux. La raison est une capacité divine de mettre en ordre, de prévoir, d’expérimenter une voie dans tous les hauts et les bas, de notre existence ; mais elle se crispe ; elle ne supporte pas ce qui est contradictoire ; elle résiste à se laisser conduire au-delà d’elle-même. Avec les guérisons, Jésus nous fait constater combien nos passions aussi sont désordonnées et nous mettent dans des états pas possibles. Avec sa mort, il nous fait constater  notre condition de grandeur-misère, de fragilité et de désir d’infini. Avec sa résurrection, Jésus devient le tourment de notre avenir : allons-nous le suivre ou non, si loin…
Beaucoup ont voulu renoncer aux passions, pour devenir des dieux, impassible, immuables ; d’autres ont voulu renoncer à la raison, pour devenir des hommes bruts de décoffrage. Mais ni les uns, ni les autres, n’y arrivent : les passions sont toujours vivantes  même chez es religieux et la raison se réinstalle en force même chez les libres-penseurs. Jésus ne choisit ni contre les passions, ni contre la raison, il vient dans notre chair et fait de ce vide au milieu de nous, un lieu habitable par nous et habité par Lui.
Comment le Christ y vient-il ?
En premier lieu, ce n’est pas une décision de notre part, ni une saisie à force d’entrainement spirituel. Le Dieu de Jésus-Christ n’est pas un objet, une chose ou une explication globale définie une fois pour toutes. Il est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de la visite, de la rencontre. Il vient dans le cours de nos vies, à travers nos relations avec les autres, ce qui s’y découvre, ce qui s’y trouve déchirée aussi, à travers les façons inattendues, souvent rudes, parfois merveilleuses, dont les forces de la nature ou de notre environnement social nous secouent, nous délogent de nos acquis.
En second lieu, notre jardin secret est équipé d’origine pour cette rencontre. L’homme qui accueille cette visite en entrant dans sa chambre et en fermant la porte un moment, y trouve un chez soi habité par le souffle de l’Esprit, la présence du Christ et l’amour du Père. Loin de l’enfermer sur lui-même, cette présence l’ouvre à une communion inconnue : il appartient à un corps plein de membres, qui pensent et agissent parce qu’ils sont aimés du Christ.
C’est ce que nous vivons maintenant ici : en nous donnant sa Parole, il nous ouvre les yeux, et les oreilles et les mains et lave nos pieds. En nous faisant passer réellement du pain et du vin que nous connaissons à son corps et à son sang, il transforme notre chair, il nous rassemble dans un même corps, le sien.
Ce n’est pas un rite, c’est un événement à la taille de la création de Dieu. Que l’Esprit saint nous y conduise dans la paix.

Jean-Pierre Duplantier
26 août 2012
21° dimanche du Temps ordinaire

L'homélie du 19 août 2012


            Au bout de ces pages d’évangile que nous avons entendu depuis plusieurs dimanches, et qui déploient la fresque du chapitre 6 de l’évangile de Jean, nous est donné aujourd’hui, cette affirmation de Jésus: « si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. »
Ils ont raison les juifs de l’évangile de résister viscéralement à ces paroles de Jésus. Si on en reste à imaginer ce que peut représenter les paroles de Jésus, c’est l’horreur. C’est la figure du cannibale qui surgit, et notre incompréhension est totale. Les juifs, comme nous, savons que nous sommes à la merci de ce fameux dragon rouge qui attend la naissance de l’enfant de la femme pour le dévorer comme le dit l’apocalypse, et que nous avons entendu le 15 août. Dans toutes les cultures, en effet, un grand nombre de contes racontent la dévoration des enfants, ou de la grand’mère comme dans le chaperon rouge, ou d’épouse ou du mari. C’est toujours une affaire de famille ou de tribus, et çà se passe toujours à travers une différence de génération ou de conflit où chaque groupe se sent en danger d’être dévoré, tout cru ou cuisiné. Il faut exorciser cette terreur, car elle est là inconsciente, à l’affut, y compris dans certains gestes ou certaines expressions de tendresse familiale. Et combien de guerres et de situations économiques réveillent chez nous cette horreur de cannibale.       
            Mais pourquoi donc Jésus nous entraine sur ce terrain terrible ? Parce que c’est à cette place en nous que se joue la confusion entre la vie que nous nous faisons et la vie que Dieu nous donne.
Il est écrit que Dieu nous connaît dès le ventre de notre mère. Au commencement de notre vie, cette attention que Dieu nous porte est déjà là. Mais cette vie donnée et reçue tombe dans l’oubli, effacée par notre vie à construire, à défendre. Notre vie pour en jouir ou pour désespérer d’être capable de l’assumer. Et quand la fureur de vivre ou la terreur de la mort se met en marche, quelque soient les terrains où çà se déclenche, nous ne faisons plus la différence entre ce qu’est un être humain, et ce qui n’est pas humain, entre ce qui est consommable pour nous et ce qui ne l’est pas. Les autres deviennent pour nous des concurrents ou des dangers mortels. Certains autres deviennent objets d’amour ou d’alliance ; mais les autres, il nous faut les abattre ou les dévorer. Entre cet amour et cette haine, la frontière s’efface souvent, sans que nous maitrisions ces choses.
La nourriture est le lieu où ces contraires se nouent en nous : du gout au dégout, de l’amour à la haine, çà passe de l’un à l’autre sans qu’on se rende compte, et cela est accroché à notre condition humaine, à ce que nous appelons la vie ;
Or c’est là que Jésus est envoyé par son Père. « Ma vie, proclame-t-il, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne. » Cette vie du Fils de l’homme, celle que son Père lui donne, c’est l’inaccessible vie de celui qui est vraiment homme et vraiment Dieu.
Vraiment homme et vraiment Dieu représente aussi une contradiction insoluble, incompréhensible. En Jésus-Christ, cette vie qui se donne est dispersée dans tous ceux qui acceptent de se nourrir de son corps et de son sang, afin que l’œuvre de Dieu s’accomplisse : être rassemblés dans le corps glorieux de son Fils bien aimé. Par Lui, avec lui et en lui, nous accomplissons le désir de Dieu sur nous, devenir ses fils dans son Fils. Passer de ce monde à notre Père. Nous engager dans cette immense procession de ceux qui traversent la grande épreuve, dans cette procession dont la tête se tient déjà devant Dieu et devant l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
            C’est ce que nous allons faire maintenant dans cette eucharistie : nous laisser attirer un moment au-delà de nous-mêmes, nous laisser nourrir par lui, afin que viennent en nous des liens, des gestes, des pensées, qui portent sa marque.
            Ceci n’est pas une croyance, un héritage archaïque, et moins encore une déduction de notre raison. C’est ce que Dieu a inscrit dans notre chair dès le ventre de notre mère ; C’est ce que nous avons vu et entendu se révéler en nous et chez les autres sous forme de moments de paix, de pardon, de courage, de joie et aussi d’inventions heureuses qui ont eu des interactions heureuses dans notre société. La foi c’est cette visite, cette rencontre. Elle est chez nous un don de Dieu, pas seulement une conviction, une croyance, mais l’expérience de ces paquets d’énergie de l’amour de Dieu qui ont façonné notre vie.
            Nous n’obligeons personne à suivre ce chemin. Mais personne ne peut nous obliger à changer de Maître : il est le chemin, la vérité, la vie. C’est notre voie. C’est le moment de rendre à César, ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Tous les hommes sont libres d’avoir des opinions qu’ils estiment légitimes et des manières de vivre qu’ils inscrivent dans leur loi. Mais en matière de filiation des enfants des hommes, Dieu lui aussi a ses opinions légitimes : nous rassembler tous dans le corps de son Fils bien aimé.

Jean-Pierre Duplantier
19 août 2012
20° Dimanche du Temps Ordinaire

L'homélie du 15 août

Les textes que nous venons d’entendre sont un superbe cadeau de Dieu. C’est leur envergure qui m’impressionne. Cà commence par une révélation, une apocalypse comme on dit dans la Bible : le travail de Dieu, que nous nommons la création, a une dimension cosmique. Deux signes grandioses dans le ciel, et chacun d’eux avec deux faces. Le premier signe est l’apparition d’une femme, dans un temple qui s’ouvre soudain dans le ciel. La première face de ce signe est effectivement clairement cosmique, comme je le disais à l’instant : cette femme a le soleil pour manteau, la lune sous ses pieds et, sur la tête, une couronne d’étoiles. Une vision semblable à celle qui impressionne de plus en plus nos contemporains depuis que, grâce au développement de la technique, nous découvrons l’immensité, la lumière et les forces de l’univers dans lequel nous sommes pris. La deuxième face de ce signe grandiose est l’état de cette femme : elle est enceinte ; elle crie, dans les douleurs de l’enfantement. A travers cette femme, nous est donné à voir l’univers en train d’accoucher d’un enfant.
Le second signe n’est pas vraiment un adversaire, c’est une bête imaginaire, un dragon rouge. Lui aussi présente deux faces. La première est à nouveau cosmique : il précipite les étoiles sur la terre ; il défait en nous tout ce qui nous émerveille et le transforme en terreur. La seconde face vise à nouveau l’enfant : il se tient à l’affut pour dévorer cet enfant dés sa naissance.
Et voici que cet enfant arrive et rien ne peut arrêter sa puissance, l’énergie de l’amour de Dieu et le pouvoir de son Christ.  Et dans ce mouvement d’enfantement, la femme, Marie, se tient à une place préparée par Dieu lui-même.
Quel est donc cet enchainement fantastique qui va de la soumission du soleil, de la lune et des étoiles à cette femme prestigieuse, à la naissance de son enfant dans les douleurs de l’enfantement ? Quel est donc cette terrible pesanteur qui nous fait imaginer pour nous et souhaiter même pour d’autres que le ciel nous tombe sur la terre, jusqu’à laisser monter l’horreur de dévorer nos enfants ou ceux des autres de peur qu’ils nous enlèvent nos rêves de puissance ? Le livre de la Genèse, tous les autres livres de la Bible, les évangiles et l’Apocalypse répondent dans une seule symphonie : c’est la création, l’œuvre de Dieu, l’énergie de son amour qui induit patiemment en toutes choses la levée du corps de son Fils bien aimé et dévoile le chemin, la vérité et la vie de chacun de nous, des chaque habitant de la planète, toutes générations confondues.
            Je n’ai pas de mal à entendre les raisonnements que certains font dans leur cœur. « Du calme, Jean-Pierre, ne t’emballe pas. Ce que tu dis est trop loin de nos préoccupations ordinaires, c’est une lumière trop forte pour nos yeux, ce sont des pensées qui nous brouillent la tête et qui ne servent à rien pour la vie concrète, pour le quotidien de chez nous.
            Alors écoutez l’autre récit, celui de la visitation de Marie chez Elisabeth. Cà s’est passé il y a longtemps dans une ville de la montagne de Judée, dans la maison de Zacharie et d’Elisabeth. C’est bien cette visite de Marie à sa cousine ; c’est une belle connivence entre deux femmes en ceints. Oui mais ce qui est raconté dépasse complètement cette convivialité familiale.
D’abord quand Elisabeth entend la voix de Marie, son enfant tressaille dans son ventre. Ce n’est pas dans sa tête que çà se passe. Et elle dit « tu es béni entre toutes les femmes ». D’où sort-elle cette phrase. De l’Esprit saint, dit le récit. Mais c’est qui, lui ? De quel droit il intervient ? Au nom de qui ? Quel est ce paquet d’énergie qui soudain fait parler ainsi cette femme ?
Puis c’est au tour de Marie de parler. « Mon âme exalte le Seigneur,… désormais tous les âges me diront bienheureuse…, Le Puissant fait pour moi des merveilles… ». Bien sur nous nous émerveillons de cette belle prière d’une craie fille d’Israël. Bien sur nous pouvons nous émerveiller de la belle prière de cette femme enceinte. Mais il y a davantage encore. Le champ des forces de l’amour de Dieu vient de la couvrir de son ombre. L’esprit saint a pris le contrôle de son corps, de son cœur. C’est lui qui ouvre ses lèvres et lui donne de publier les merveilles de Dieu. C’est Lui qui lui révèle que depuis l’origine cette puissance de la création vise le passage des fils d’homme vers le corps du fils de Dieu.
Quand je prie Marie, aujourd’hui, il m’arrive qu’elle me conduise par la main dans ce champ de forces d’amour de Dieu, que nous appelons la création. Et je vois ce que je n’avais pas encore vu, et j’entends ce que je n’avais pas encore entendu, et j’ai du respect pour des situations et des comportements auxquelles j’étais fermé jusque là, et que je rejetai même parfois violemment.
Et ces dévoilements au plus profond de moi, je les vois,  je les entends chez vous aussi. Et mon âme exalte le Seigneur avec Marie. C’est cette joie que nous célébrons ensemble ce matin.

            Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle. Pour nous ces moments de grâce ne dure qu’un moment. Et c’est ce que nous allons vivre ensemble maintenant. Jésus va nous donner du pain et du vin. Et par son geste et sa Parole, il va nous faire passer de ce pain à son corps livré et de ce vin à son sang versé. Ce n’est pas un rite que nous allons faire, c’est un événement qui nous arrive : pendant le temps de cette eucharistie nous devenons les membres de son corps. Comme Marie, quand la messe sera dite, nous rentrerons chez nous. Mais nous aurons été pris un moment dans la puissance de vie dont Jésus-Christ nous nourrit.
C’est ainsi que nous devenons sensibles, vigilants, désirants à la force créatrice du Royaume de Dieu. C’est ainsi que ce moment de grâce n’est pas seulement un petit pas vers Dieu pour chacun de nous, mais un événement dans la création toute entière, un point d’impact, tout petit mais puissamment réel, de la force d’amour de Dieu dans l’univers.
Cet amour, cet amour seul, jamais ne passera. Et Marie, et Jésus se réjouissent de notre sortie vers le Royaume.

Jean-Pierre Duplantier
15 août 2012

Homélie du 5 août 2012

Dans le désert, les fils d’Israël n’ont pas l’air d’avoir vraiment saisis ce qui s’est joué dans leur sortie d’Egypte. Ils sont d’accord sur une chose : c’est Dieu qui les a conduits par la main. Mais il reste la vraie vie, comme nous disons aujourd’hui encore, le quotidien. Avant, c’était mieux, disent les fils d’Israël. Nous étions esclaves de multiples manières, mais nous avions des marmites avec de la viande et du pain.  Et, une fois encore, Dieu entend et comme il aime ce peuple, comme une maman tient à ses loulous, il envoie des cailles le soir, et le matin il fait tomber quelque chose du ciel comme du pain. Oui, mais ce n’est pas du pain comme d’habitude. Ils tordent le nez. « C’est quoi çà ? », en hébreu çà se dit « man ou », la manne. Bref avec Dieu, ils se comportent comme des sales gosses, jamais satisfaits.
            Et çà recommence entre la foule et Jésus. Depuis quelque temps la foule court après Jésus, et dès qu’il s’en va d’un endroit, elle le cherche et le trouve. Mais nous savons maintenant que Jésus voit les choses cachées.
C’est comme s’il y avait deux planètes. La notre, notre monde comme nous disons, ou encore la vraie vie, où nous visons sous influence de nos habitudes, des courants d’idées, des fluctuations de la mode, de l’évolution de nos hormones et des variations de la machine économique… et avec une structure de connaissance limitée. Sur cette planète, nos liens entre nous subissent toutes ces turbulences.
Jésus vit, au milieu de nous, sur une autre planète. Il l’appelle le royaume de Dieu. Lui, il vit sous influence de l’amour de son Père, pour Lui et tous les hommes. Il voit, il entend, il parle, il agit sous l’influence de la force de cet amour, que nous appelons l’Esprit saint. Il voit donc que la foule s’intéresse à Lui parce qu’elle a été rassasiée. Il ne lui en veut pas, mais çà le désole, parce qu’ils sont quasiment insensibles, étanches à l’autre nourriture, « celle qui se garde jusque dans la vie éternelle, celle que donne le Fils de l’Homme, lui que Dieu, le Père a marqué de son empreinte. » Ce sont ses propres mots.
Et qu’est-ce qu’il faut faire, dit la foule. Jésus aurait pu leur répondre : vous faites ceci, puis cela, et encore cela, et vous serez de bons petits et votre Père sera content. Non, Jésus ne nous entraine pas sur ce chemin. Parce qu’au bout de ce chemin, il y a le tri entre ceux qui ont réussi et ceux qui ont raté, et Dieu ne supporte pas qu’il y ait des déchets parmi ses enfants. Jésus leur annonce que l’œuvre de Dieu, c’est que nous croyons en celui qu’il a envoyé. La foi c’est donc l’œuvre de Dieu ; nous sommes les destinataires de la foi, pas les fabricants.
Résultat : il nous faut en passer par Jésus : lui ouvrir la porte de chez nous de temps en temps, accepter de le côtoyer quand il vient vers nous à travers d’autres, à travers des rencontres ou des événements inattendus, prendre sur notre temps et nos occupations pour écouter sa parole, pour communier à son corps livré pour nous, à son sang versé pour nous.
Vous comprenez pourquoi le concile de Vatican II est revenu sur la messe et la parole de Dieu : ce sont deux activités collectives où nous nous exposons à l’influence de Jésus, de son Esprit et de son Royaume. Vous comprenez pourquoi nous insistons sur la lecture de la Bible en groupe, en plus de ce que nous entendons à la messe : c’est pour que puissions risquer notre parole en lisant avec d’autres, pour que sa présence passe par notre manière de parler, notre manière d’aimer, notre façon d’agir.
Et le but de la manœuvre c’est que vos enfants et vos proches, et vos collègues et vos voisins et vos associés, voient et entendent que vous changez parce que vous êtes passés sous influence du Christ, et que visiblement cette influence vous va bien, que cette nourriture a l’air savoureuse et qu’elle fait du beau travail chez vous.

Jean-Pierre Duplantier
5 août 2012
18°dimanche du temps ordinaire